Chapelle Notre-Dame de Jovence

"A toutes les chapelles mentionnées dans les mémoires de P. Blays, nous devons en ajouter une autre dont il ne parle point et dont l'âge présent ne soupçonne même pas l'existence. Toute son histoire, qui est fort simple, est renfermée dans un cantique sans date ni nom d'auteur, que le hasard a fait tomber entre nos mains, et que nous transcrivons avec son style et son ortographe, désirant que le lecteur y trouve un fil conducteur pour remonter à son origine.

Cantique a l'honneur de Notre-Dame-de-Jovence, dont la chapelle est au pied des murs du château de Châteaubriant.

Sur l'air de La Valière.

Disposez vos oreilles
Chrétiens dévotieux,
Ecoutez les merveilles
Qui s'opèrent en tous lieux,
Par la reine d'amour
La Sainte Vierge mère,
Qui, de l'hureux séjour
Est l'étoile plénière.

Dans le fond d'une grotte
L'on voit par tout le monde
La mère du Sauveur
En miracles féconde
Exaucer le pécheur
En différents endroites
En différentes places,
Et partout ses bienfaits
Accorder toutes grâces.

O divine Marie
Reine de l'univers.
Le genre humain vous prie
Par tant de noms divers :
Prodige incontestable,
Le lendemain matin
L'image vénérable
Se retrouva soudain
Où le jour précèdent
Le clergé l'avait prise ;
Un pareil changement
Causa grande surprise.

Le cartier en allarmes
Où vient les habitants
Les yeux baignés de larmes
De joye, en racontant
Ce qui s'était passé
A l'égard du mistère,
Leurs travaux ont laissé
En faisant fête entière.

Plus de cinquante années,
En grande dévotion
A certaines journées,
Notre procession
Allait faisant des vœux
Sous le nom de Jovence,
Implorant des hauts cieux
Du temps la tempérance.

Nantes, de Bon-Secours
Et Brest, de Recouvrance.
Châteaubriant toujours
Sous le nom de Jovence.

C'est auprès de la porte
Qu'on nomme saint Michel,
Sur un petit autel;
Dans ce pauvre réduit,
Vous avez sans obstacles
Tant le jour que la nuit
Fait de très-grands miracles.

L'image vénérable
De la mère de Dieu
Par un trait remarquable
Se trouva dans ce lieu.
Ce miracle avéré,
Le clergé de la ville
La porta à Béré
Pour être notre azille.

La grande nonchalance
Des chrétiens négligents
Par leur indifférence
Ont rendu indigent
Un lieu si fréquente
Une place si bonne ;
La mère de bonté
N'y refuse personne.

Depuis quelques années
Nombre de bon chrétiens
Ayant l'âme zélée,
Aydant de leurs moyens,
Et d'autres par leurs soins
Et leur intelligence
Aux dépens de leurs biens
Ont reparé Jovence.

Joignons nous tous, mes frères,
A ces nobles de cœur,
En offrant nos prières
Avec grande ferveur
Pour ceux qui de leurs soins
Entretiennent la place ;
Qu'en le séjour des saints
Dieu nous fasse à tous grâce.

Quoi qu'il en soit de l'étymologie à laquelle on s'arrête pour notre Jovence il nous paraît certain que ce nom remonte à un âge qui devança le Christianisme. N'est-il pas permis de croire que cette fontaine, qui coule au pied du rocher sur lequel Brient bâtit son château, fut ici l'objet d'un culte superstitieux comme tant d'autres fontaines dans l'univers payen, culte que les chrétiens transformèrent, en mettant son objet sous la protection d'un saint vénéré ou de la Sainte-Vierge ?

Ce qui est certain, c'est que la dévotion à Notre-Dame-de-Jovence subsistera •a uniquement dans le domaine populaire, et que l'autorité ecclésiastique y demeura toujours étrangère. La meilleure preuve, c'est qu'il n'en est fait aucune mention dans nos archives religieuses, soit dans les comptes des fabriqueurs, soit dans les brevets présentés par les doyens, soit surtout dans les mémoires du doyen Blays si exact à énumérer tout ce qui relevait de sa jurisdiction.

Son pèlerinage prit fin à la Révolution. Voici ce que nous apprend le compte-rendu municipal, à la date du 18 thermidor an XIII (août 1805).

D'après une lettre de M. le Sous-Préfet, en date du 6 de ce mois, le conseil municipal considérant que, de temps immémorial, il existait une chapeIle publique dans l'endroit où le sieur D***a une écurie pour la construction de laquelle il a démoli ladite chapelle et profité des pierres et autres matériaux d'icelle ; que cette chapelle était séparée par une haie vive ; que l'acquisition, que le sieur D*** a faite de ce jardin dans laquelle il a fait comprendre la chapelle, est récente et ne date que de l'an V; que le [illisible] acquêt et la prise de possession faite par le sieur M., précédent possesseur dudit jardin, sont exclusifs de tout droit sur ladite chapelle, est d'avis que M. le Maire force le sieur D. à abandonner la propriété de l'emplacement de ladite chapelle et de la voie publique qui y conduisait, et à rétablir ladite chapelle en l'état où elle était avant qu'il l'eût démolie, et le paiement de 200 fr. pour dommages et intérêts résultant de l'usurpation. »

Nous croyons que la délibération municipale fut en partie exécutée, à en juger du moins par l'inspection des lieux ; mais il y eut sans doute une transaction. Car si la fontaine coule encore silencieusement sous le toit qui la couvre, il n'y a plus de pèlerins ni d'autels : Jovence a péri dans la mémoire des hommes."

Source: P. Blays, "Des chappelles basties dans la d. paroisse", in "Histoire de Châteaubriant" de l'Abbé Ch. Goudé, Rennes 1870