Saint-Marie-des-Sablons

"En 1161, le pape Alexandre III confirma l'abbaye du Nid-de-Merle dans sa possession de Sainte-Marie-des-Sablons, au diocèse de Saint-Malo. On ingore la date exacte de la fondation de ce prueiré. On ignore aussi les fondateurs. Quelque seigneur du lieu avait sans doute offert des terres à l'abbesse, l'invitant à y fonder un prieuré.

A quelque trois cents métres de la limite des Sablons, en bordure du chemin menant de Port-Sablon à Doslet, les Frères Condonats bâtirent leur monastère ou moinerie. Ce nom de Moinerie est d'ailleurs le seul souvenir qui nous reste de ces pieux Bénédictins disparus assez tôt des Sablons. Le dernier témoignage de leur présence en ces lieux est une charte, datée de 1295, dans laquelle il est dit que " le Prior de la Ville-es-Nonneins y apposa son scel ".

Les moniales élevèrent leur couvent à proximité du Vaudoré. Il comprenait plusieurs bâtiments assez importants. La chapelle cependant était petite : onze mètres de longueur sur six de largeur. D'architecture romane, elle était ajourée au nord de meurtrières, éclairée par deux fenêtres, percée d'une petite porte carrée au nord, d'une porte cintrée dans le pignon ouest, et surmontée d'un clocher de deux mètres en forme de colombier soutenu par quatre morceaux de bois et muni " d'une cloche donné par les habitans ". Elle possédait un autel en pierre, des petits berchets en guise de sièges, deux bénitiers carrés, placés actuellement à l'entrée principale de l'église.

Au sud-est de la chapelle s'élevaient les cellules dont on a retrouvé les traces lors de la construction de l'église. A leur suite, vers l'est, se prolongeaient les autres bâtiments : salle du chapitre, parloir, réfectoire, cuisine, dépendances... Une demeure (à présent entièrement reconstruite) située à l'angle nord-est du croisement du haut du bourg, dite Maison aux Nonnes, semble avoir été la Maison des Dîmes. Une tradition erronée veut que sa cour, ou Cour aux Nonnes, fût le cimetière des moniales. Des ossements ont été découverts dans cette cour, mais n'ont pas été identifiés. Or il ne faut pas oublier qu'autrefois, en temps de guerre ou d'épidémie, on enterrait partout. Le cimetière des religieuses se trouvait à l'ouest de la chapelle. La preuve en fut établie lors de la construction de l'église. Les " multiples ossemens trouvés furent ensépulturés à Saint-Suliac ".

Comme le monastère de Port-Stablon, le prieuré de Sainte-Marie-des-Sablons jouissait des prérogatives féodales, mais devait aussi en remplir les obligations. " Il possédait le droit de basse et moyenne Justice et Juridiction en son Fief, droit de création de Sénéchal et aultres officiers pour exercer la dite Juridiction sur les hommes estages et non estages... "

C'était avec solennité et en présence " du chapître, des notaires, sergents et aultres officiers reçus et jurez en la Court et Juridiction " du monastère que se réglaient toutes les affaires et litiges : contrats, bailliages, aveux, déclarations, procès, jugements... Les faits et leur cérémonial nous sont attestés par de nombreux actes, tel " en mil cinq cens quatre vingts saize, le contract et marché héritel à titre de Rente censié, entre Vénérable Dame, Dame Gabrielle de Morès, humble Abbesse du dict Saint-Sulpice; Françoise de Froulay, Prieuré du prieuré de la Ville-es-Nonnains et Soub-Prieure de la ditte Abbaye,... et plusieurs aultres Dames congrégées et assemblées en leur Chapître, châpitrant touchant, la campanne sonnant et aultres solennitez, en tel cas requises et observées, et devisans de leurs arfaires négoces, utilitez et profitz du dict Chapître après mêure délibération, d'une part. - Noble Homme Messire Jean de Taillefer des Préaulx y présent, d'aultre part. - Par lequel contract, la dicte Dame et en présence et par l'advis et consentement des dictes Dammes Religieuses et couvent, baille, cedde, quicte et héritellement transporté pour Elles et leurs successeurs au dict Taillefer acceptant pour luy et les siens hoirs et causéants, scavoir Une pièce de terre.... soubt le villaige de la Ville-aux-Nonnains, nommé le Clos Lérault... "

Tel aussi cet aveu dans lequel " Jacquemine Leroux femme et authorisée de Jean Fouquet, demeurant au Village de Dolet, reconnait et confesse être sujette vassable, traitible et justiciable estalge et obéissante de Noble et Vertueuse Religieuse Pélagie De Lépinnaye, Dame Prieure de la Ville-aux-Nonnains, Seigneure de la Seigneurie Juridiction et Prieuré de la Ville-aux-Nonnains et de sa ditte Dame tenir prochement et roturièrement une petite maison de demeurance... ".

Ou encore cette assignation devant la cour de la Dame Prieure, datée du 10 novembre 1647, par laquelle " sur droit à la requeste de Jacques Quinard fermier de la terre noble et seigneurie du Vaudoré, (il est) faict sommation à Robert Briand de retirer deux bêtes porchines à luy appartenant, trouvées dans la prée dépendant du Vaudoré; le sieur Briand est assigné d'avoir à comparoir devant la cour de l'abbesse de la Ville-aux-Nonnains, pou se voir s'il y a lieu condamner à dix livres tournois, pour les dégats estimés par le sieur Quinard ".

Tous ces actes nous font connaître " les héritages possédés à la Ville-ès-Nonnains par les Religieuses ". Ils nous apprennent aussi que l'abbesse de Saint-Sulpice-la-Forêt en détenait nue partie, sans doute ce qui avait appartenu primitivement aux Frères Condonats.

Le domaine de l'abbesse comprenait une maison avec cour et jardin (probablement la Moinerie), un bailliage nommé Fief de l'abbesse, les Métairies (terres des Perrières ou Prières), le Clos-Morvan ou Moreau, le Clos-Chaperon, le Jaunel, le domaine du Poirier en Plouasne; le dîmereau des Gastines se levant à la huitième gerbe, un autre en Miniac se levant à la quatorzième gerbe.

Le domaine de la prieuré comprenait la chapelle priorale ; les maisons, jardins et pourpris joignant cette chapelle; le clos appelé Domaine à la Prieuré, un pré, un moulin à vent nommé Moulin des Masses; un bailliage appelé Fief à la Prieure, s'étendant à la Ville-ès-Nonnains et aux alentours, un dîmereau s'élevant à la huitième gerbe sur les terres de la Ville-ès-Nonnains, un droit de moutonnage, c'est-à-dire le droit pour la prieure " de faire paîstre ses brebis dans les pastures de la Ville-ès-Nonnais ".

Une lettre de Jean Ier, duc de Bretagne, datée de 1253, nous apprend aussi qu'à cette époque les religieuses louaient leurs terres de la Ville-ès-Nonnains 110 sols. Il s'agit de monnaie bretonne, et la valeur en est difficile à établir.

L'austérité de vie et la pratique de la charité des moniales les avaient rendues très populaires. Le peuple les vénérait et les aimait. Il ehercliait aussi à se grouper près d'elles. Dès les premières années, un hameau s'étendit de la Moinerie à Sainte-Marie-des-Sablons. On appelait les religieuses les nonnains : le village prit dès son origine le nom de Ville-ès-Nonnains.

Au début du XVIIIe siècle, la foi et la piété qui avaient animé les âges précédents perdirent un peu de leur ardeur : les vocations devinrent moins nombreuses. En 1729, les religieuses durent quitter leur prieuré de Sainte-Marie-des-Sablons et rentrer dans la clôture abbatiale de Saint-Sulpice! L'histoire nous a légué la plupart des noms des dames prieures de Sainte-Marie-des-Sablons : Soeur Guillemette Génevel, nommée en 1397; Sœur Gervaise de La Chapelle, en 1411; Sœur Guyonne Rabault, en 1560; Sœur Françoise de Froulay, en 1581; Sœur Jeanne Bouan, en 1599; Sœur Margueritte Le Marchand, alliée à la famille Gruel, en 1615; Sœur Thérése-Jeanne Freslon de Saint-Aubin, en 1708; Sœur Pélagie d'Espinaye de Vaucouleurs, en 1712.

En 1646, Jean de Taillefer, seigneur du Vaudoré, bachelier de Sorbonne, ancien recteur de Saint-Suliac, chanoine de Saint-Malo et archidiacre de Dinan, mourait à Vauboeuf. Par son testament, il fondait dans la chapelle du Prieuré, dans laquelle son père était inhumé, une chapellenie en l'honneur de sainte Anne. " Pour ce, le dict chapelain ou desserviant quatéchîssera le peuple de l'un et l'autre sexe après la messe ou autre heure du mesme jour. " Le testateur léguait au chapelain de Sainte-Anne " neuf journaux de terre au marais de Bellisle et cent cinquante livres une fois payée. Pour le service divin, son calice d'argent et ses ornements sacerdotaux ".

Au départ des religieuses, la prieure confia la bonne tenue de la maison de Dieu au seigneur de Vaubceuf, Jean-Baptiste de Taillefer, arrière-petit-neveu du fondateur de la chapellenie. Dès lors " la chapelle priorale fut considérée comme frairienne " et servit aux habitants. Bien que dédiée à Marie, depuis la fondation en l'honneur de Sainte Anne le peuple la regardait comme consacrée à l'aïeule de Jésus. Les chapelains qui desservirent la chapellenie furent Gabriel Chouesmin, pourvu en 1646 et dont on ignore le nom du successeur; Noël Guénard, en 1718, et présent lors du départ des religieuses; Nicolas Aineline, en 1744, et qui essaya en vain d'en faire une paroisse; Jacques Aubrée, en 1759, ancien chapelain du Port-Saint-Jean; François Contin, en 1786, " mord le 11 novambre 1787 âgé de 62 en et anterré le mardy 13 dans le cynietière de Saint-Sulia "; Pierre Pitel, en 1787 et jusqu'à la Révolution.

Guy Raoul, sieur de la Maison-Neuve, épousa Françoise Denoual, demoiselle de La ffiliais, le 14 janvier 1681, dans la chapelle Sainte-Anne. Messire Alain-Malo de Saint-Meleue y épousa Jeanne de La Motte le 25 novembre 1751.

La chapelle et les biens que possédait encore l'abbesse de Saint-Sulpice furent volés à la Révolution, et ensuite " cédés par la Nation, en 1793, à la citoyenne Fouqueux pour remboursement d'argent placé sur les biens du clergé ". Mlle Fouqueux rendit la chapelle en 1807. Les autres biens passèrent à ses héritiers, les Moras, qui les vendirent en 1831 à Guillaume Adam et son épouse Yvoniie Brindejonc. La seule partie qui subsiste, à présent propriété de M. Lesné, à l'angle ouest du lieu-dit la Grand'Cour, encore appelée dans les contrats la Métairie des Abbesses, est le seul vestige du prieuré de Sainte-Marie-des-Sablons."

Source : Abbé Auffret, La Ville-ès-Nonais, 1957.