Chapelle Notre-Dame-du-Crann (1535)

Notre-Dame du CrannC'est au XIIIe siècle, dès son retour de croisade, que le seigneur Bernard du Chastel fit édifier un oratoire au pied de l'enceinte fortifiée du Crann, à fin de remercier la Vierge de l'avoir à préserver de la peste. Il prit soin d'y déposer un trésor s'amener de Palestine : un reliquaire en argent contenant quelques cheveux et des ossements attribués à la mère de Jésus, un morceau de la croix du Christ, un fragment de son sépulcre et diverses reliques de saints martyrs.

Lorsqu'au XVIe siècle, les descendants de la Bernard du Chastel firent bâtir à leur manoir près de l'ancienne motte féodale, ils reconstruisirent la chapelle en lui donnant l'ampleur d'une église paroissiale. Elle fut achevée en 1535.

Une semaine avant le pardon de la santé Trinité, le fabricien de la chapelle désignait des quêteuses de beurre : trois femmes mariées et trois jeunes filles pour les trois quartiers de la paroisse. À pied, par de mauvais chemin, chaque groupe allait ainsi visiter une quarantaine de villages, certains isolés sur les hauteurs, et collecter le beurre nouvellement barraté dans de grands paniers dossier. L'avant-veille du pardon, c'était en char a bancs que les quelquequêteuses et leur cargaison de beurre se rendait à la chapelle pour y confectionner de grandes mottes, exposées ensuite sur d'anciens autels en pierre.

Tôt le matin du dimanche de la santé Trinité, la foule des pardonneurs envahissait la chapelle pour trois messes basses, puis les confessions se succédaient jusqu'à la grand-messe. À l'issue de la messe, le fabricien revendait les mottes aux enchères. " Ce sont là, comme on dit, les rentes de Notre-Dame de Crann. Il serait a souhaiter que le produit en fût assez élevé pour lui permettre de faire réparer et de tenir en état son admirable mobilier que menace ruine. " (A. Le Braz).

On mettait aussi en adjudication des reliques offertes par le fondateur du sanctuaire, après les avoir déposées dans de petites boîtes. Les plus généreux donateurs gagnaient le privilège de les porter autour de leur cou, le temps du pardon seulement.

En 1915, on renonça à mettre en adjudication les reliques sacrées ou tout au moins les quelques ossements qui n'avaient pas disparu au fil des ans. On ajouta le reliquaire de St Victor à la procession et, tout le long du trajet, les enfants furent invités à passer sous ses reliques afin de leur assurer une bonne santé et de les préserver des maladies contagieuses.

Aujourd'hui, la fabrication artisanale du beurre n'est plus pratiquée que dans quelques rares fermes. Aussi la quête du beurre désigne maintenant à Spézet la collecte d'argent du denier du culte, sur lequel on prélève une somme pour acheter 45 livres de beurre. Par souci d'économie et il n'y a plus qu'une seule motte, confectionnée dans la chapelle par quelques femmes le vendredi précédant le pardon.

(Source : Claire Arlaux, Ar Men, n° 43, 1992)

Gustave Geffroy, dans "La Bretagne", raconte son passage à la chapelle.

" Je reste seul dans le petit enclos formé autour de la chapelle par des murs de terre couverts de gazon et par des rangées d'arbres. Je regarde et j'écoute. La petite chapelle est humble, sans rien de caractéristique: des murs gris, un clocheton, des portes basses. Par-dessus le mur, la campagne au soleil, des champs à perte de vue, ça et là de minuscules silhouettes humaines. Un grand silence à travers lequel je perçois de temps en temps le tic tac d'un moulin et le murmure de l'eau. [...]

Comment expliquer la sensation que j'éprouve, la mélancolie profonde qui s'empare tout à coup de moi à me voir là, seul, dans ce pays perdu, au pied de la Montagne Noire? C'est comme si la nature se révélait subitement illusoire et vide, avec sa terre, ses champs, ses verdures, son ciel bleu, son soleil, son énigme monotone et insupportable. [...]

Crann.jpg (9664 octets) J'entrai dans la chapelle.
C'est le flamboiement de la couleur dans la lumière. La maîtresse vitre raconte la Passion, l'entrée à Jérusalem, le tribunal de Caïphe, la consultation de Pilate, le baiser de Judas, la Cène où Jean dort sur l'épaule de son maître. Le tympan de l'ogive fait resplendir le Jugement dernier et le Triomphe du Christ. Il y a six fenêtres. Trois sont consacrées au Christ et à la Vierge, groupent l'Annonciation, la Nativité, les Bergers, les Mages, le Baptême par Jean-Baptiste, la Mort de la Vierge. Les trois autres concernent saint Laurent sur son gril, saint Jacques en pèlerin, saint Eloi en maréchal-ferrant, tout en bel art du XVIème siècle, ample et familier. Ces figures, bien assemblées, aux gestes combinés pour l'harmonie des lignes, aux couleurs samment contrastées, parlent d'art et de labeur, de la distraction toujours imposée par l'homme à son inquiétude d'esprit. Il n'y a qu'à comprendre l'exemple, qu'à fermer la porte et qu'à rentrer dans la vie telle qu'elle est. "