Chapelle Sainte-Anne

Au hameau actuel dit Sainte-Anne. on a retrouvé des vestiges du culte de sainte Anne. "Auprès de ce hameau, nous relate Spéranze, une grotte en forme de four fut dévouverte en 1885 par les défricheurs d'un bosquet. Elle contenait des cendres noires, semblables à celles des tombeaux celtiques. Des monnaies trouées furent mises à jour également, près de la fontaine de Sainte-Anne. Il n'y a donc aucune raison pour ne pas admettre que ce vallon de Sainte-Anne fut habité par les Celtes et qu'ils y honoraient Ana, comme à Kerana, Commana, Trégana ".

La dévotion à sainte Anne se répandit surtout après que Nicolazic eut découvert dans son champ, en 1624, une statue de l'aïeule vénérée, près de ce qui deviendra Sainte-Anne-d'Auray. Mais Ploecolm n'attendit pas cette découverte pour édifier une chapelle en l'honneur de la mère de Notre-Dame.

Nous lisons, dans un acte du Saint-Siège du 16 septembre 1464 :

" Le Père Abbé de l'Abbaye de Saint-Mathieu-Fin-de-Terre (Finistère) et Tanguy Kerlech, chanoine de Léon, sont chargés de pourvoir Jean Augurii, prêtre de Léon, de la chapellenie de Sainte-Anne de Plebs Colombani, sous patronat laïc, avec charge de n'y nommer qu'un prêtre, contre les prétentions de Gilles Thomas, clerc de Nantes et neveu de l'évêque de Léon, qui en fut pourvu il y a deux ans, à la mort du titulaire Yves de La Porte, quoique n'étant pas prêtre."

Ce document est daté de Rome et signé du pape Paul II. Il faut croire que la chapellenie de Sainte-Anne était convoitée par plusieurs titulaires car, en 1484, une dispute s'élève encore au sujet de cette chapellenie.

Longue de 13 mètres sur 7 de large, la chapelle remontait donc au début du 14e siècle. En 1496, on voit un Coetmenech, sieur de Kerrom, faire un legs "à la Bienheureuse Anne de Ploecolm".

Une pièce de 1713 nous fait savoir que les seigneurs de Kerautret possédaient, en l'église de Sainte-Anne, une chapelle prohibitive (privée), du côté de l'évangile, que leurs armes et alliances figuraient dans les vitraux, et au-dehors dans les pierres, que la muraille du midi était percée de deux fenêtres, armoriées du seul blason des Kerautret.

Voici les noms des gouverneurs de la chapelle Sainte-Anne :

- Tanguy du Faou, chanoine titulaire en 1531 ;

- en 1558, Maurice de Pontantoull. seigneur de Kerrigoal et de Gaillereran, au Crucifix-des-Champs, en saint-Paul. Ce brave chapelain, dont les ancêtres avaient droit de présentation à la chapelle Sainte-Anne, eut la singulière idée de demander à Henri Il le maintien des danses le jour du pardon, droit qu'on lui contestait. Les ancêtres de ce digne chapelain avaient, entre autres prérogatives, droit de patronage et de présentation de la chapelle ;

- en 1613, Rolland de Poulpiquet, chanoine, chantre, premier dignitaire de Léon, demeurant au manoir de la Villeneuve en SaintPaul, auteurde plusieurs ouvrages, l'un des prêtres les plus distingués du diocèse de Léon ;

- en 1617, Yves Pleyber, inhumé à Sainte-Anne ;

- en 1654, Hamon Le Jacobin, chantre-de Léon ;

- en 1676, François Le Jacobin, sieur de Keramprat, docteur de Sorbonne, vicaire général.

Deux ans plus tard, ce gouverneur démissionna et, en 1704, le bénéfice de Sainte-Anne fut uni au séminaire de Léon. Dans la déclaration des héritages nobles du royaume , le 25 novembre 1727, Sainte-Anne figure une fois pour le séminaire de Léon et une fois pour le seigneur de Derval, du Dourduff. En 1789, le présentateur de la chapelle était le seigneur de Coatanfao. Jusqu'au 18e siècle, on disait trois messes basses par semaine dans cette chapelle, dont la décoration était très poussée (vitraux, pierres sculptées, fontaine) et elle était très fréquentée jusqu'à la Révolution.

Le pardon de Sainte-Anne à Ploecolm

Tous les ans, le 26 juillet, en la fête de Sainte-Anne, un pardon réunissait les habitants du village, de la paroisse, des environs. A la grande messe, le panégyrique d'Anne y était prêché en breton. Après vêpres solennelles et procession, la danse était ouverte à tous les assistants. Mais cette antique tradition faillit disparaître au 16e siècle.

En effet, s'il est normal que le peuple se réjouisse après les vêpres du pardon, la noblesse en était parfois choquée. En particulier, si un seigneur de l'évêché du Léon était décédé récemment, tout le Léon devait en porter le deuil et interdiction de danser ! Donc plus de danse au pardon de Sainte-Anne ! Mais quelqu'un ne se laissa pas faire ! C'était Maurice de Pontantoul, prêtre, le second gouverneur de la chapelle. Il présenta plaintes et protestations du peuple de Ploecolm, auprès du comte-évèque de Léon, puisqu'il en dépendait à la fois en tant que noble et que prêtre.

N'ayant pas en gain de cause, le prêtre ne se tint pas pour vaincu et écrivit tout simplement... au roi de France : Henri Il ! Et le bon roi prit sa défense ; il l'approuva et les danses de Ploecolm furent maintenues par lettre patente du 10 février 1558. Oui, le Roi prenait sous sa Protection et sauvegarde la chapelle Sainte-Anne et ses danses, quelque part en Bretagne...

Arthur de La Borderie, grand historien breton, conservait dans ses archives cette précieuse charte royale. Voici ce texte, en français du 16e siècle :

"Nous soutenons Maistre Maurice de Pontantoul, sieur de Kerigoal, diocèse de Léon, contre les haineux et malveillans qui menacent de le troubler dans la jouissance de ses droits héréditaires, entr'autres dans l'un d'eux qu'il descrit en les termes suivants : "Le droict de patronnaige lai et présentation de la chapelle Saincte Anne, située en la paroisse de Ploegolm, au fié des régalles de Léon et en ladite chapelle, avoir et tenir préminences d'églises, comme escuzons de ses armes, timbres, enfeux et acoudouers mesme, à raison dudict droict de patronnaige. de. mettre prédicateur pour prescher en ladicte chapelle, au jour et feste de Saincte Anne, 26e juillet, chascun an, quel prédicateur a accoustumé à la fin de sa prédication, faire commémoration des prédécesseurs dudict Pontantoul avant tous autres ; avecques est en possession et saisine (ledict Pontantoul), après la prédiéation et l'issue dicelle de commencer au pré fenier de ladicte chapelle, la danse à tous les assistans accoustumée de tout temps y ystre faicte, sans égard aux décès d'aucunes personnes nobles dudict Evesché de Léon."

La chapelle Sainte-Anne se situait donc au fief de Léon (fief royal dépendant du Roi). Les prééminences des Pontantoul comportaient le droit d'avoir écusson et armoiries ; à la cathédrale : droit d'enfeu (sorte de niche dans le mur) et même un accoudoir ! La saisine était le droit à la prise de possession des biens d'un défunt, à l'instant même du décès et sans autorisation préalable. Mais M. de Pontantoul avait aussi le droit de choisir le prédicateur du pardon et de faire danser la foule ensuite, comme c'était la coutume depuis plus d'un siècle ! C'est ce droit que maintient le Roi, sans égard au décès de quelque noble que ce soit.

Cette pièce intéresse Plougoulm, dans le Finistère. Mais, comme le disait M. de La Borderle à la Société Archéologique d'Ille-et-Vilaine : "Aujourd'hui qu'on s'occupe beaucoup des pardons de basse-Bretagne et de leur histoire, ce document a un intérêt particulier. Il montre que la danse apres vêpres, dans le placis verdoyant qui environne la chapelle, était un des éléments indispensables de la fête, que le seigneur de Léon tenait à ouvrir lui-même cette danse ! et il est piquant de voir ce seigneur, qui est un prêtre, invoquer la protection du roi pour n'être point troublé dans l'exercice de ce droit ! "

On s'imagine la joie du sieur de Pontantoul et celle du peuple " ploegolmois" à la réception de cette charte ! Et autour de la chapelle Sainte-Anne, dans le "pré fenier " (pré à foin), la danse put continuer encore 220 ans, jusqu'à la Révolution.

Mais, outre le jour du pardon, les gens aimaient se recueillir dans cette chapelle silencieuse. Certains demandaient d'y être inhumés, selon une vieille coutume. En 1666, Hervé Le Mie et Catherine Cueff, veuve de Henri Postec, se font inhumer dans le choeur de la chapelle. Renée Grall, veuve de Jean Porzier, est également enterrée à SainteAnne. Il serait trop long de citer tous ceux : prêtres et laïques qui ont sollicité la faveur d'aller dormir leur dernier sommeil à l'ombre du sanctuaire de celle que les Bretons ont toujours vénérée comme leur patronne.

Qu'en reste-t-il depuis la Révolution ? L'emplacement lui-même est discuté : l'opinion la plus probable est celle qui la situe à l'endroit d'un jardin actuel qui a les mêmes dimensions que celles de l'ancienne chapelle : sept mètres sur treize.

A côté devait se trouver le placître de la chapelle, une prairie à foin. Les gens du quartier Sainte-Anne sont tout surpris de recevoir parfois la visite de "chercheurs" qui voudraient voir l'emplacement du "pré feuler " où on a dansé si longtemps, avec l'autorisation écrite du roi de France ! En effet, le pardon de Sainte-Anne a dû être célébré chaque 26 juillet, de 1464 à 1789.

Près de la chapelle existait aussi un petit bois. Les arbres ayant été abattus, la terre a été cultivée ; en la creusant, on a découvert, une grotte en forme de four, qui contenait des cendres noires. A quel usage avait pu servir cette erotte et à quelle époque pouvait-elle remonter ? Il est difficile d'y répondre.

La chapelle en ruines s'est transformée en carrière de pierres... Ces gros blocs de granit ont servi à construire au moins une maison du quartier. Au-dessus de la porte d'entrée en particulier, on peut admirer des pierres sculptées, aux armoiries de Créac'hizien et de Lampezre. Leurs sculptures en bas-relief représentent des blasons avec hermines et, d'autre part, le monogramme du Christ : IHS (Jesu Hominum Salvator) avec un calice. Un autre écusson porte un léopard : les armes d'un Névet, seigneur de Kerchoant. Un écusson encore porte un écu cri abyme, accompagné de six annelets : armes des Jacobin de Keramprat. Enfin, un autre écusson porte un sautoir sur un champ d'hermines : les armes de Pontantoul. C'étaient les bienfaiteurs de la chapelle Sainte-Anne avant la Révolution.

Subsiste encore la fontaine du 15e siècle : c'est un bel édifice hexagonal, toujours décoré aux armes des Névet, Pontantoul et Le Jacobin. A Sainte-Anne, c'est surtout à la fontaine qu'on revient, car chapelle et fontaine restent l'objet d'un culte très ancien. Là, comme à la fontaine de Prat-Coulm. les enfants recouvraient la santé ; et le bain répété neuf fois dans la fontaine Sainte-Anne était identique aux neuvaines du culte marial de la fontaine miraculeuse de Notre-Dame. "La dévotion à Sainte-Anne persiste. notait M. Tanguy, en 1896. Plusieurs personnes viennent encore prier près de la fontaine qui se trouve en contre-bas de l'emplacement qu'occupait la chapelle." Parmi d'autres. un fait a été certifié par la personne qui en a été bénéficiaire ; le voici. En 1881, Yves Grall, fils de Claude et de Louise Corre, de Saint-Pol, agé alors de deux ans, fut porté par ses parents à la fontaine SainteAnne ; ce n'était qu'un squelette, couleur de cire jaune. Sa tante Anne Caroff le plongea neuf fois dans la fontaine et, chaque fois, l'enfant s'embellissait. Par neuf fois aussi, elle cura la fontaine. Au dire d'Anne Caroff, l'enfant avait été soigné sans aucun soulagement : c'est à Sainte-Anne qu'il doit sa guérison."

Enfin ajoutons que la chapelle disparue a laissé son nom au village "Sainte-Anne" dont les habitants viennent toujours s'abreuver "à la claire fontaine".

(Récit extrait de "Plougoulm et son histoire", de Cécile Grall)