La légende du pendu


Extraits de
« Trédaniel, éléments d’histoire, patrimoine »,
Bertrand L’HOTELLIER, 2000.
Mémoire dactylographié,
Association Sauvegarde du Patrimoine Culturel du Mené, 22330 COLLINEE
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La légende du pendu d’après l’abbé M. Saillet (1780-1812)
La légende du pendu d’après B. Jollivet (1854-1859)
La légende du pendu d’après A. C. (1884)
La légende du pendu d’après l’abbé Audo (vers 1890)
La légende du pendu d’après C. Berthelot du Chesnay (1896)
La légende du pendu d’après G. Le Scouezec (1966)
La légende du pendu d’après l’abbé F. Robert (1988)

Commentaires sur la légende du pendu


La légende du pendu d’après l’abbé M. Saillet (1780-1812)

            « Un Bas-Breton allant à Rennes pour ses affaires prit la petite route, il fut arrêté dans la paroisse de Trédaniel par des inconnus, chargés d’arrêter et de punir sur-le-champ toute personne suspecte et sans aveu. Ces étrangers ne sachant point son langage, ni lui la langue française, le prirent pour un fripon, fichèrent un clou dans un arbre, lui passèrent une corde au cou et le pendirent. Dans ce court intervalle, il invoque la sainte Vierge et fait voeu de lui bâtir une chapelle s’il échappe au danger de mort où il se voit exposé, sans autre ressource que celle qu’il demande. Après le départ des malfaiteurs, on voit qu’il n’est pas mort, on coupe promptement la corde, il recouvre la vie et la santé, et bâtit en l’honneur de sa puissante Protectrice la chapelle de Notre-Dame du Haut, où il est représenté à genoux au pied de la sainte Vierge et la corde au cou.
            D’autres racontent que le Bas-Breton fut trouvé près du corps d’un homme assassiné à La Roche en Trédaniel et que n’ayant pas pu justifier de son innocence, il fut condamné à être pendu, et comme la sentence ne portait pas jusqu’à ce que mort s’en suive, il fit voeu à la bonne Vierge de lui bâtir une chapelle sur le lieu même où on le pendait, s’il échappait à la potence. La corde rompit avant qu’il fut mort et il accomplit son voeu en bâtissant Notre-Dame du Haut, qui ne fut d’abord, dit-on, qu’une toute petite chapelle couverte en genêts.
            Enfin une autre version dit qu’un petit Bas-Breton fut arrêté par des voleurs dans un lieu que l’on ne nomme pas, et qu’au moment où ils allaient le pendre, il remarqua dans l’arbre auquel ils l’attachaient une petite statue de la sainte Vierge et qu’il fit voeu à la Mère de Dieu de porter cette statue entre ses bras aussi loin qu’il pourrait sans prendre haleine et de bâtir en son honneur une chapelle là où il serait forcé de s’arrêter. Après le départ des brigands, la corde se rompit, il reprit peu à peu ses sens, et se ressouvenant de son voeu, il prit la statue de la sainte Vierge et marcha sans s’arrêter jusqu’au lieu où est aujourd’hui la chapelle N.D. du H.
».


La légende du pendu d’après B. Jollivet (1854-1859)

            « Voici ce que l’on raconte touchant l’origine de cette chapelle : Un riche paysan Bas-Breton, de passage à Moncontour, avait quitté cette ville de très grand matin pour se rendre à Rennes, où l’appelaient ses affaires. Il avait pris, comme chemin le plus court, celui que l’on nomme encore aujourd’hui la petite route. Mais à peine avait-il parcouru un kilomètre, depuis sa sortie de Moncontour, qu’il se vit attaquer par des malfaiteurs, qui le dépouillèrent de son argent, et se mirent en devoir de le pendre au sommet d’un arbre. Pendant qu’ils procédaient à cette terrible exécution, notre Bas-Breton recommandait son âme à la sainte Vierge, et promettait à cette bonne mère, dans le cas où il lui plairait de le sauver, de lui élever sur le lieu même une chapelle qui porterait le nom de Notre-Dame du Haut, nom destiné à rappeler à la fois la puissance de la Reine des Cieux, et le point élevé de l’arbre où il était menacé de perdre la vie. Sa confiance en Marie reçut sa récompense ; car la corde vint à se rompre, et il tomba par terre sans s’être fait de mal. Or, les assassins n’étaient plus là ; ils s’étaient hâtés de prendre la fuite après l’avoir pendu.
            Notre Bas-Breton, ainsi sauvé par un miracle de la mère de Dieu, s’agenouilla les mains jointes, puis élevant ses yeux vers le ciel, remercia avec effusion sa bienfaitrice. C’est dans cette attitude, et ayant au cou le noeud-coulant d’une corde brisée, qu’on l’a représenté devant la statue de Notre-Dame du Haut, sans doute pour rappeler et confirmer l’existence du miracle dont nous venons de parler ».


La légende du pendu d’après A. C. (1884)

            « Un bas-breton, de la région de Guingamp ou de Lannion, allant au pays de Rennes pour ses affaires, est arrêté au milieu de la montagne du Mené par des brigands qui le pendent haut et court. A l’heure suprême, le malheureux voyageur aperçoit une statue de la sainte Vierge dans un chêne voisin ; aussitôt il invoque Marie, et lui promet, si elle lui sauve la vie, de prendre sa statue, et de construire une chapelle en son honneur, à l’endroit où, hors d’haleine, il s’arrêterait en la portant. Au même instant, la corde cède, et le breton prend la statue entre ses bras ; et il marche, il marche jusqu’à l’endroit où s’élève aujourd’hui la statue de Notre-Dame du Haut ».


La légende du pendu d’après l’abbé Audo (vers 1890)

            « La tradition conservée dans le pays veut qu’un malheureux mendiant Breton revenant d’un pèlerinage à Saint-Maudez de Lamballe fut accusé de meurtre et condamné à mort. Tandis qu’on préparait l’exécution et lorsque déjà on l’élevait à la potence, il fit voeu de bâtir en ce lieu une chapelle si la Sainte Vierge lui sauvait la vie ; il fut exaucé. Une autre version racontée par M. A.C. porte qu’un Bas-Breton de la région de Guingamp ou de Lannion, allant au pays de Rennes pour ses affaires, est arrêté au milieu de la montagne du Mené par des brigands qui le pendent haut et court. A l’heure suprême il aperçoit une statue de la Sainte Vierge dans un chêne voisin. Aussitôt il invoque Marie et promet, si elle lui sauve la vie, de prendre sa statue et de construire une chapelle en son honneur à l’endroit où, hors d’haleine, il s’arrêterait en la portant. Au même instant, la corde céda et le Breton prend sa statue entre ses bras et il marche, il marche jusqu’à l’endroit où s’élève aujourd’hui la statue de Notre-Dame du Haut ».


La légende du pendu d’après C. Berthelot du Chesnay (1896)

            « Dans la chapelle, un vitrail moderne reproduit les principales circonstances auxquelles serait due sa fondation. Une légende veut qu’un seigneur breton de passage dans le pays, fut surpris en ce lieu par d’affreux brigands qui hantaient au XVIe siècle la Forêt du Menez. Battu par eux, dépouillé, et finalement pendu, l’infortuné gentilhomme invoqua la Vierge, qui, prise de pitié, dépêcha un ange armé d’un glaive, avec mission de couper la corde. Retombé sur ses pieds (c’est le cas de le dire), le voyageur reconnaissant aurait fait bâtir la chapelle que l’on voit aujourd’hui ».


La légende du pendu d’après G. Le Scouezec  (1966)

            « Une petite route conduit à 2 km au Sud du bourg, à la chapelle Notre-Dame du Haut, célèbre dans toute la région. Elle doit son origine, selon la tradition, à un miracle survenu au XVe siècle, à l’époque de la guerre de Succession. Un gentilhomme de basse Bretagne se rendait à Rennes lorsqu’au lieu dit l’Epine Fleurie, il fut surpris et attaqué par des brigands. Non contents de le dévaliser, ceux-ci s’apprêtèrent à le pendre.
            Pendant que le malheureux voyageur faisait ses ultimes dévotions, son regard fut attiré par une statue de la Vierge : l’image était fixée sur une branche du chêne qui allait servir à son supplice ! Le gentilhomme invoqua Notre-Dame, la suppliant de le sauver, et lui promit, en retour, de lui bâtir une chapelle à l’endroit où, à force de courir, il tomberait épuisé. La Vierge apparut et le marché fut conclu. Un ange vint aussitôt le délivrer et mit en fuite les malandrins. Prenant sa statue, le gentilhomme se mit alors à courir, droit devant lui, jusqu’à l’endroit où, depuis cette aventure, s’élève la chapelle du Haut, construite en action de grâces. A l’intérieur, un vitrail retrace les principaux épisodes de cette légende.
            Deux statues devant l’autel, sur des socles séparés, représentent le gentilhomme à genoux, la corde au cou, en présence d’une madonne portant l’Enfant.
            Au centre du sanctuaire, un tronc à offrandes est constitué, selon l’ancien usage breton, d’un tronc de chêne creusé et garni de ferrures
 ».

           Dans cette évocation « grand public » de la légende de la fondation de la chapelle, l’auteur présente un récit établit à partir des différentes versions rapportées dans le registre de paroisse, alors que rien ne permet de faire de tels choix, surtout quand on remarque son incompétence lorsqu’il évoque indistinctement le XVe siècle pour la guerre de Succession, conflit qui marqua la Bretagne de 1341 à 1364.


La légende du pendu d’après l’abbé F. Robert (1988)

            « La chapelle de Notre-Dame du Haut date, selon la tradition, de la guerre de Succession de Bretagne qui désola notre pays au XVe siècle. A cette époque, Jean de Montfort, héritier du duché, luttait contre son rival Charles de Blois. La Bretagne était en proie à la guerre civile, et cruellement pillée par les soldats étrangers, français ou anglais, accourus défendre les deux prétendants. A la faveur des troubles, des brigands tenaient campagne, rançonnant les voyageurs : un de ces bandes avait son repaire dans le Mené.

            Profitant d’une trêve, un gentilhomme de Basse-Bretagne voulut traverser le Mené pour aller à Rennes, au Parlement. Il fut surpris dans un lieu, nommé « L’Epine Fleurie » et, après avoir été dévalisé, allait être pendu à un chêne voisin. Il aperçut une statue de la Vierge, accrochée aux branches de l’arbre... Plein de foi, il fit voeu, s’il était sauvé, de prendre la statue dans ses bras et de bâtir une chapelle là où la fatigue le ferait s’arrêter.

            La sainte Vierge, dit la légende, lui apparut et envoya un ange le sauver. Il prit aussitôt la statue et se mit à courir, descendant la vallée de Moncontour. Il tomba à bout de souffle, en vue de la ville.
            Plus tard, quand la ville d’Auray eut assuré le triomphe de Jean IV et rendu la paix à la Bretagne, il acquitta son voeu et bâtit la chapelle Notre-Dame du Haut
.


Commentaires sur la légende du pendu

            L’examen des différentes versions de la légende du pendu est riche en enseignements. Les propos de l’abbé Saillet sont les plus anciens et les plus fiables dans la mesure où il donne les trois versions acquises par la légende sans accorder la primauté de l’une sur les autres. Ces versions seront celles auxquelles nous nous intéresserons le plus ; les autres n’en sont que des avatars parfois grossièrement réécrits et modifiés.

            D’abord, l’événement relaté par la légende n’est pas daté précisément : alors que la version de l’abbé Saillet ne comporte aucun repère chronologique, C. Berthelot du Chesnay évoque le XVIe siècle et l’abbé F. Robert évoque indistinctement la période de la guerre de succession (1341-1364) ou le XVe siècle.

            Mais l’évocation de la guerre de succession est intéressante : au XIVe siècle en effet, alors que sévissent les guerres et la misère, de nombreux témoignages révèlent les dangers de la route peuplée d’errants, de mendiants, de filles publiques, où l’on risque au minimum d’être importuné, au pire d’être assailli, dépouillé de son argent, voire, après 1341, capturé, torturé et pendu aux arbres par des routiers en mal de rançons. Ce même climat d’insécurité se retrouve à la fin du XVe siècle : en 1490, la jeune duchesse Anne de Bretagne adresse une ordonnance aux sénéchaux de Penthièvre stipulant d’arrêter et de punir les gens masqués qui détroussent les passants dans les bois et sur les grands chemins :

« Commission adresante aux seneschal, alloué, lieutenant et procureur de Lamballe et Moncontour, de faire enqueste et informacion de plusieurs personnes et nacions de gens, qui de jour en autre, tant de jour que de nuyt, se déguisent et mectent en habits estranges et dissimulez et prennent petitz chaperons avecques lesquelx ils couvrent leurs visaiges en manière que l’on ne les peut congnoestre, et gardent les boais et chemins, robent et destroussent les passans et rapassans ».

            Ordonnance sans grand effet : en 1494 un dénommé Marc Le Bret, « brigant sous bois », « gardeur de chemins et robeur de marchans », sévit avec sa bande dans les environs de Moncontour jusqu’à ce que les bourgeois de la ville ne finissent par faire justice eux mêmes. Mais l’insécurité sur les routes n’est pas caractéristique de ces périodes puisqu’elle existe encore dans la région de Trédaniel à la fin du XVIIIe siècle. Les landes du Mené sont autant de lieux écartés où les actes de brigandage sont fréquents ; il suffit de prendre l’exemple de « La Hutte à l’Anguille », village situé sur l’une des routes de Moncontour à Rennes, dont le nom évoque encore les faits qui entourèrent dans les années 1770-1790 l’auberge qui s’y trouvait. L’insécurité ne peut donc être un critère de datation du fait (s’il existe) étant à l’origine de la légende du pendu. D’ailleurs, les différentes versions rencontrées ne s’accordent pas toujours à voir en ce pendu une victime de brigands...

            Les sources proposent en effet deux motifs différents à la pendaison de notre personnage : certaines affirment qu’il est exécuté parce qu’il aurait été surpris près d’un cadavre et qu’il n’aurait pas donné les preuves de son innocence, d’autres au contraire qu’il est victime d’une agression.

            Le « degré de religiosité » diffère également : certaines sources prétendent qu’il ne doit sa survie qu’à la rupture de la corde ou à l’intervention d’autres personnes qui, arrivées sur les lieux après le départ des exécuteurs, le délivrent à temps ; d’autres au contraire, membres du clergé surtout, font intervenir la Vierge qui, en raison des dévotions du pendu, lui adresse un ange afin de mettre ses bourreaux en fuite et de le sauver ; la version présentée par l’abbé Audo affirme même que le miraculé rentrait d’un pèlerinage à Saint-Maudez de Lamballe, contrairement à toutes les autres qui affirment qu’il se rendait simplement à Rennes « pour affaires ».

            Notons par ailleurs que l’une des versions évoque la présence d’une petite statue de la Vierge dans l’arbre auquel le breton aurait été pendu. Cette évocation d’une statue dans l’arbre n’est peut-être pas si imagée que l’on pourrait le croire : elle rappelle l’existence des arbres vénérés sous l’Antiquité et bien au-delà, jusqu’au XIXe siècle sans doute, que les chrétiens, faute de pouvoir détruire, adoptèrent en y plaçant des images saintes. Cette allusion à un arbre « sacré », accessoire dans le récit de la légende, serait néanmoins véritablement intéressante si seulement notre connaissance de ces formes de cultes et de croyances n’étaient pas aussi sujettes à caution, les travaux scientifiques faisant défaut sur ce point, contrairement à toute la littérature folklorique.

            Une effigie du breton, présenté agenouillé en prière au pied de la Vierge et la corde au cou, est disposée dans la chapelle tandis qu’un vitrail retrace cette légende. Cette légende présente des similitudes troublantes avec celle de la fondation de la fontaine Notre-Dame de Lorette au Quillio : « La légende raconte que cette fontaine est érigée par un comte d’Uzel, compagnon de Charles VIII, en route pour les guerres d’Italie. Victime d’une embuscade aux environs de Lorette, il implore la Vierge pour obtenir la vie sauve, en promettant de lui bâtir à son retour un sanctuaire à cet emplacement ». Le sens de ces légendes pieuses est donc celui du salut de l’âme par la croyance et la pratique de la religion.

            Ainsi, s’il n’y a pas de raison de douter de l’authenticité de cette légende dans son « fond historique » (un pendu sauvé in extremis), il est probable qu’elle soit dans sa forme religieuse l’œuvre du clergé, désireux de sacraliser le lieu et de conforter les fidèles dans leur confiance à la Vierge. Deux faits indépendants (la construction de la chapelle et une sombre histoire d’agression) semblent s’être interférés avec le temps.

            Cette légende revêt par ailleurs un aspect sordide : elle rejoint la réalité en 1793 lorsque, en pleine Terreur, le sacristain Person, répondant de l’abbé Maurice Saillet, curé réfractaire de Trédaniel, avec qui il est surpris à Notre-Dame du Haut, est pendu à l’une des poutres de la chapelle...