Chapelle Saint-Julien

Pour parler de cette chapelle, donnons la parole à Yvonne Raguénes qui en parle si bien dans son livre "Mon village en Quiberon" :

"C'était aux environs de 1925.

Un beau matin, les gens de St Julien s'aperçurent que leur Chapelle allait tomber "en botte" ! Il y avait belle lurette que nous le savions, nous, les enfants du catéchisme de tant Sophie !

Ceux du Warchondied et du Poul Douar devaient passer près d'elle pour regagner leur maison. Et on faisait vite en rasant les murs du père Morio et de tant Armelle ! On était impressionné par le hululement des chouettes, le bruissement des chauves-souris qui nichaient dans l'édifice abandonné. Pour conjurer la peur des ténèbres et des bruits inquiétants plus d'un jetait un caillou sous la petite porte à demi arrachée et le tintement prolongé de ce caillou ricochant sur les dalles de pierre avait, inexplicablement, un pouvoir rassurant.

Le vent qui s'engouffrait dans la ruelle se glissait sournoisement sous les planches pourries et ressortait, triomphant, par le toit qui béait de toutes parts, perdant ses dernières ardoises.

Il y pleuvait comme en plein air et le plafond en forme de quille renversée où un peintre besogneux avait naïvement figuré un firmament étoilé, laissait passer les rafales pluvieuses qui faisaient de longues traînées sur les murs lépreux.

Oui ! Elle était en bien piteux état, notre pauvre Chapelle

Reconstruite en 1859, elle avait eu le glorieux privilège de servir d'église paroissiale durant tout le temps que Notre-Dame de Locmaria fut en réfection, aux environs de 1900. Les Quiberonnais du Bourg, des villages venaient y suivre les offices.

Elle eut même les honneurs d'une grande fête en 1907. Anne Nicolas, l'ancienne du village, garde jalousement la preuve de ce jour faste : une photographie jaunie, combien touchante où j'ai reconnu les visages de personnes depuis longtemps disparues ! Ils sont tous là, à côté de la Chapelle, au pied d'une immense grotte faite de papier et de carton, réplique exacte de celle de Lourdes : le père Nicolas en canotier, Fina Conan, Anne et Rosa Guillemain, Marie Tual, Rosa Bellégo toute jeunette, portant la guise... et des enfants, des garçons en costume marin, des petites filles en coiffe "pour de vrai" !

Mais notre Chapelle fut totalement délaissée du jour où l'église paroissiale put à nouveau accueillir les fidèles. Elle servit même d'entrepôt pour les filets et les casiers de quelques pêcheurs en quête d'un local.

Elle moisissait tout doucement, dédaignée, oubliée...

La question fut alors posée au Conseil Municipal, en 1925 Ne valait-il pas mieux la raser ?

Raser la Chapelle! Ce fut un beau tollé chez les gens de St Julien ! Ils y tenaient à leur Chapelle : ils étaient les seuls villageois à en posséder une et en étaient d'autant plus fiers !

Je ne sais comment ils se concertèrent mais, brusquement, un beau jour, les enfants colportèrent la nouvelle de Ker à Keroc'h du Pour Douar au Poul Vil : on va faire une kermesse pour avoir des sous !

Une kermesse dans le village ! Que de "goût" en perspective !

Et fébrilement, en ce juillet 1927, tout le monde se mit à l'ouvrage, hommes, femmes, enfants...

Menuisiers, charpentiers bénévoles vinrent dresser des tréteaux de part et d'autre de Ker, qui ne connaissait toujours pas le bitume. Adossée au pignon du jardin de Nicolas, une scène fut mise en place - on dirait aujourd'hui un podium ! - une vraie scène avec des rideaux glissant sur tringle. A côté la baraque aux frites, plus loin celle des gâteaux, des fars que les ménagères avaient confectionnés à la maison, gratuitement, pas regardantes pour le beurre et les pruneaux ! En face, les étagères où les moques en fer-blanc, empilées en équilibre instable, attendaient d'être abattues par des "ballotes" de chiffon : jeu de massacre rustique qui attirait les enfants comme le miel attire les mouches. Les petites filles, revêtues de la guise pour la circonstance, vendaient dans des paniers d'osier la lavande odorante qu'Yvonne et Jeanne leur avaient appris à tresser coquettement avec de jolis rubans. Les dons avaient afflué, canard par-ci, poulette par-là et alimentaient généreusement la loterie, une roue de bicyclette faisant office de cadran. La veille les bonnes volontés n'avaient pas manqué pour l'emballage dans du papier journal des petits lots de la pêche à la ligne. Et avec quel plaisir Marie et Fine s'étaient costumées en bohémiennes pour attirer les badauds sous leur tente et "leur tirer les cartes"" ! Le public vint, fort nombreux, assister à la Messe solennelle, chacun apportant sa chaise car la Chapelle n'avait pas encore de bancs. Durant toute la journée, ce fut une atmosphère de liesse dans les rues et sur la place.

Mais le clou fut certainement le spectacle auquel nous eûmes droit, gratuitement ! Angèle monta sur la scène et chanta

Les vieilles de notre pays
Ne sont pas des vieilles moroses !

ou encore :

Les chemins bretons sont des fantaisistes
Qui vont de travers au lieu d'aller droit !

Pierre, surnommé Trolon, nous conta les malheurs d'un marin dont la belle était infidèle et Monsieur Bertic, de sa belle voix de basse, entonna sur l'air de la Paimpolaise, la complainte composée pour la circonstance par un barde dont j'ignore le nom. Je ne puis résister au plaisir de donner ici la première strophe et le refrain :

Refrain

Quiberonnais ! Séchez vos larmes
Car le clocher de St Julien
Qui nous causa bien des alarmes
Ne vas plus rester sans soutien !
Il a tant d'amis dans ce bon pays
Pour mettre un terme à la détresse
Où pâtit cet infortuné,
Largement, à notre kermesse,
Donnera qui n'a pas donné !

Ce vibrant appel fut entendu ! Les sous dont parlaient les enfants furent généreusement prodigués, personne ne se montra regardant ce jour-là; les mémés qui fouillaient souvent dans la poche de leur tablier n'en ramenaient pas que la tabatière mais aussi le porte-monnaie, usé, informe, qui devenait de plus en plus fiasque au fil des heures. C'est que les "paotr" ne cessaient pas de tourner autour de leurs jupons, quémandant des pièces de bronze pour se payer une partie de moques ou s'acheter une énorme tranche de far !

Mais que serait une fête au village si elle ne se terminait pas par une ridée ? Vincent était là, installé à sa place habituelle; il étira longuement les soufflets de son accordéon, plaqua un accord et en route pour la ridée ! Elle ne fut pas longue à se mettre en place, grands et petits accouraient pour se prendre par le petit doigt et former un immense cercle. Avec quel entrain toute l'assistance reprenait :

Je l'ai eue, je l'aurai, la fille du coupeur de paille Je l'ai eue, je l'aurai, la fille du coupeur de blé !

C'est joyeusement encore qu'elle chantait apparemment peu touchée de cette infortune, la triste histoire d'une fille mal mariée:

Et puisque c'est ainsi, je retourne à l'usine !

Manger mon pain sec, étriper la sardine, hélas ! Déjà mal mariée, déjà ! Déjà mal mariée, gué !

Ce fut vraiment une journée mémorable dans les annales de St Julien ! Ceux qui l'on vécue en parlent encore !

Et notre Chapelle fut restaurée. Oh ! Ce n'est pas un chef-d’œuvre d'architecture, mais nous l'aimons telle qu'elle est ! Chaque été, elle renaît et est tout juste assez grande pour accueillir touristes et villageois pour la messe dominicale. Hors saison, elle est pour moi le lieu calme et désert OÙ j'aime aller m'asseoir sur le dernier banc. Je reste là, dans le silence et je me souviens... Derrière moi, roulé autour de sa hampe, tristement oublié contre le mur, le drapeau de St Julien ne conserve plus aucune illusion.

Il sait que jamais plus il ne claquera au vent comme autrefois lorsque chaque village avait sa bannière et la suivait dans les processions du Bourg; celle de la Fête-Dieu pour laquelle les maisons de la Grand-Rue se décoraient de draps brodés et de bouquets de fleurs, celle du 15 août qui menait les fidèles jusqu'au port de Maria pour y jeter une couronne aux disparus en mer ! L'effigie peinte sur le tissu, représentant St Julien Evêque est décolorée et s'écaille, les franges, autrefois argentées et brillantes, sont devenues grisâtres et pendent lamentablement.

Sur l'origine de notre saint Patron, les avis sont partagés. Les uns le tiennent pour St Julien l'Hospitalier, si cher à Flaubert, d'autres pour l'Evêque du Mans qui sut tenir tête aux Vikings ! Peut-être est-il tout simplement ce soldat romain converti, originaire du Dauphiné, qui fut martyrisé à Brioude en 304 ? C'est bien sous ces traits qu'il est représenté dans la niche placée à gauche du chœur de la Chapelle, par une statue grandeur nature de bois polychrome. A moins encore qu'il soit Gulian, cet Irlandais venu avec deux autres compatriotes sur les traces des moines évangélisateurs dans cette terre armoricaine - encore toute imprégnée de croyances celtiques ! -

Nous ne le saurons probablement jamais."